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Eugène NINDORERA, Chef de la Division des Droits de l’Homme et Représentant du Haut Commissaire aux Droits de l’Homme

Voudriez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Je m’appelle Eugène Nindorera, Chef de la Division des Droits de l’homme de l’ONUCI et Représentant du Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’homme en Côte d’Ivoire. J’ai pris fonction en mars 2012.

Quelles sont les stratégies d’appui de l’ONU CI pour la poursuite du projet de formation des FRCI en Droits de l’Homme et Droit International Humanitaire?

Ce projet ayant débuté depuis 2011, j’ai pris le train en marche. Ce projet de formation est une bonne initiative et on peut fort heureusement constater que beaucoup de cho- ses se sont améliorées depuis cette période. Les formations se sont accentuées et on a pu les faire un peu partout sauf dans quelques localités. Mais je pense que c’est encore possible de couvrir ces localités. Et tout cela a été possible parce qu’il existait une volonté non seulement au plus haut niveau de l’Etat, mais aussi au Ministère de la Défense et surtout chez le Chef d’Etat-major lui-même pour justement encourager ces différentes formations concernant les Droits de l’Homme.

A l’ONU, nous sommes plusieurs agences des Nations Unies (notamment HCR, FNUAP, UNICEF) et d’autres acteurs au sein de l’ONUCI en plus de la division des Droits de l’Homme à s’impliquer dans ce vaste programme. Nous avons donc privilégié la formation des formateurs.

Ceci faisait-il partie des stratégies ?

Effectivement nous considérons que nous ne resterons pas éternellement en Côte d’Ivoire, et qu’il appartient aux forces de l’ordre elles-mêmes de se prendre en charge en formant justement leurs éléments sur le terrain. C’est en formant les formateurs qu’on a la possibilité d’instaurer un système qui soit pérenne. C’est une approche fondamentale pour nous. L’autre stratégie, c’est bien entendu de baser notre formation sur certaines autres notions fondamentales.

Lesquelles?

- Il est nécessaire d’avoir un certain nombre de connaissances théoriques sur les Droits de l’Homme. Nous essayons de partir des réalités concrètes pour intéresser les militaires par rapport à des cas que nous avons observés sur le terrain. Et parfois on s’est rendu compte que les militaires n’étaient pas conscients qu’ils étaient en train de commettre des violations; il y avait donc un certain niveau d’ignorance dans les exactions qui étaient perpétrées. En discutant des faits réels, nous essayons de changer leur perception des choses et de les inciter à modifier leur comportement.

Une fois que les formateurs seront formés, on attend d’eux qu’ils prennent la relève, et cela a déjà commencé. Mais on va continuer à les accompagner tant qu’on sera encore ici, de manière à ce qu’il y ait rapidement au sein des FRCI, le personnel qualifié nécessaire pour vraiment assurer toutes ces formations. Comme ces formations ont un coût, nous allons aussi appuyer leurs efforts visant à mobiliser des ressources additionnelles.

En second point, quelles sont les stratégies de l’ONUCI pour promouvoir les Droits de l’Homme au sein d’autres corps socio-professionnels.

Au-delà des FRCI, je crois qu’il est important de s’assurer que dans d’autres services d’ordre, de défense et de sécurité, tels que la Police, la Gendarmerie, les Eaux et Forêts, la logique soit la même et que les activités de promotion des Droits de l’Homme se développent également à ce niveau-là. Nous sommes en train d’instaurer des points focaux un peu partout pour en faire justement des formateurs en Droits de l’homme

Où par exemple ?

Au niveau de la Police, mais aussi au niveau des différents camps. Nous allons aussi, au-delà de la formation pour voir dans quelle mesure ces formations ont un impact sur le terrain par rapport aux pratiques de ces différentes forces. Et on a pu constater qu’il y a réellement une diminution des exactions ainsi qu’une augmentation des mesures de sanctions prises par les autorités militaires. Cela est très important et nous encourageons les autorités à prendre davantage leurs responsabilités à ce niveau-là bien que nous ayons déjà pu noter des progrès sensibles dans ce domaine.

Nous menons également un plaidoyer pour renforcer l’enseignement des thématiques des Droits de l’Homme au niveau des Ecoles de Police et de Gendarmerie. Ainsi, ceux qui sortent de ces écoles pourront avoir une meilleure connaissance des Droits de l’Homme. Ils ne pourront plus avoir d’excuses s’ils commettent des violations des droits de l’homme.

En dehors des corps habillés, intervenez-vous dans d’autres corps socio-professionnels ?

Oui! Par exemple dans le système éducatif, y compris à travers des clubs des Droits de l’Homme. Nous intervenons au niveau des curricula. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons eu une réunion avec la personne qui s’en occupe au niveau du Minis- tère de l’Education et nous nous sommes convenus d’améliorer la mise en œuvre de ce programme qui requiert aussi des moyens relativement importants. La formation des enseignants mérite une attention particulière.

Là aussi, des progrès ont été faits. Mais, au-delà du cours spécifique sur les Droits de l’Homme, d’autres enseignements tels que l’histoire, le français ou l’anglais, peuvent permettre de véhiculer efficacement les valeurs des Droits de l’Homme.

Nous renforçons également les capacités des organisations de la société civile qui apportent leur contribution au suivi et à l’amélioration de la situation des droits de l’homme en Côte d’Ivoire. Au niveau des viols, la sensibilisation semble avoir un impact puisqu’il y a de plus en plus de victimes qui ont le courage de porter plainte contre les auteurs présumés de viols alors qu’hier, les personnes étaient plus réticentes à le faire à cause de la pression sociale ou des risques de représailles. Tout cela est notamment le fruit des sensibilisations que nous menons.

La promotion des Droits de l’Homme se fait aussi en direction des agents du Gouvernement. Le Ministère en charge des Droits de l’Homme prend beaucoup d’initiatives dans ce sens, telles que les caravanes des Droits de l’Homme. La plus récente s’est déroulée dans la région de Korhogo.

Au-delà des activités de promotion des droits de l’homme, il faut aussi qu’il y ait des mesures de protection et des sanctions qui sont nécessaires lorsque des agents vont au-delà de leurs prérogatives et se permettent de violer les droits d’autrui.

Quels sont les défis en matière de promotion des Droits de l’Homme au niveau des forces armées ?

Etant donné que tout programme demande des moyens, il faut s’assurer que ces moyens sont disponibles. Il faut une formation continue, assurer la pérennisation du processus en formant les formateurs et en allant le plus bas possible dans ces formations pour étendre le groupe de formateurs, et s’assurer de l’impact de ces formations. La seule façon de se rendre compte que ces activités de promotion ont un impact, c’est aussi de faire un suivi ; de voir comment les gens se comportent sur le terrain. Mais nous avons déjà eu l’occasion d’observer des progrès sensibles surle terrain.

Dans quelles proportions ?

C’est difficile d’indiquer des pourcentages. Ce qui est important c’est de voir qu’il y a quand même des cas de mesures disciplinaires qui sont un peu plus réguliers.

Un autre exemple, quand il s’agit d’envoyer des militaires de l’armée ivoirienne dans une mission de maintien de la paix comme au Mali (MINUSMA), nous avons eu des séances de formation très pratiques, inspirées des réalités de la Côte d’Ivoire et de la sous-région.

Un autre exemple, quand il s’agit d’envoyer des militaires de l’armée ivoirienne dans une mission de maintien de la paix comme au Mali (MINUSMA), nous avons eu des séances de formation très pratiques, inspirées des réalités de la Côte d’Ivoire et de la sous-région.

Nous avons aussi vu le Gouvernement et le Chef d’Etat-Major en particulier être extrêmement ouverts pour s’assurer que parmi les gens qui se rendent au Mali ou veulent devenir des casques bleus, il n’y ait pas des personnes qui auraient été impliquées dans les violations des droits de l’homme. Nous avons donc pu, au niveau de notre division, faire des investigations pour attester que les personnes qui avaient été identifiées pour aller au Mali n’avaient pas été impliquées dans des violations des droits de l’homme. Cette attitude est vraiment un témoignage très concret de la volonté des autorités pour aller de l’avant sur ce terrain-là. C’est sûr que ce processus va prendre du temps, qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire, mais nous avançons dans la bonne direction.

Etes-vous à l’aise avec les autorités nationales dans l’exercice de vos missions ?

Oui, nous sommes à l’aise. Je pense que nous avons une grande ouverture de la part des responsables. J’ai, par rapport aux FRCI, discuté assez régulièrement avec le Chef d’Etat-major ou son adjoint qui s’occupe des opérations et nous avons mis en place un mécanisme qui nous permet de partager les informations sur les cas de violations que nous soumettons. Ils ont la possibilité de contrôler nos allégations pour pouvoir prendre des sanctions.

C’est un mécanisme qui doit encore faire ses preuves, mais c’est déjà une marque de bonne volonté de la part du Gouvernement qui veut justement mettre fin à certaines pratiques courantes dans le passé où il y avait des violations ouvertes de la part des militaires et que ces derniers bénéficiaient d’une impunité.

La disponibilité, non seulement de l’ONUCI mais aussi de l’ensemble du système des Nations Unies existe. Et ces deux efforts conjugués nous incitent à penser que les choses pourraient s’améliorer même s’il y a encore beaucoup de défis à relever. Il n’existe pas de pays où il n’y a aucune violation des droits de l’homme commise par les forces de l’ordre et de sécurité. Mais le plus important, c’est de faire en sorte que, lorsque cela arrive, il y ait un mécanisme mis en place pour pouvoir identifier et poursuivre les personnes qui auraient commis ces exactions. Ce mécanisme existe mais son fonctionnement n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière.

En quittant notre pays le moment venu, qu’escomptez-vous laisser de solide à la nation ivoirienne?

Quand nous formons des formateurs c’est pour que ces derniers soient en mesure de dispenser des formations qui, hier, étaient sous notre responsabilité. Aujourd’hui il y a des compétences au sein des forces de défense et de sécurité pour donner ces formations. Mais au-delà des formations, nous insistons sur le fait qu’on doit prêcher par exemple. Si un bon formateur est connu pour tabasser sa femme et ses enfants, il ne sera pas crédible et pourra difficilement susciter un changement de comportement. Toute exaction ou toute violation ne peut rester impunie et son auteur a des comptes à rendre. Il faut que cette personne sache qu’elle n’est pas à l’armée ou à la police pour satisfaire ses intérêts personnels, mais qu’elle est là pour servir les populations quelles que soient leurs origines ou appartenances multiformes. Si nous arrivons à enraciner ces principes de base au sein des forces de défense et de sécurité, nous aurons laissé un héritage significatif à la nation ivoirienne